Management collégial d’une direction,épisode 1 : alignement et travail commun

Management collégial d’une direction,
épisode 1 : alignement et travail commun

Comment une équipe de managers a fini par piloter sa direction sans sa directrice? C’est l’histoire que je vais vous raconter dans cette série d’articles.

Pourquoi vous la raconter? Parce que je crois en l’autonomie et au collectif, parce que ce mode de fonctionnement a vraiment marché, parce que cette expérience m’est encore utile aujourd’hui, parce que ça a fait progresser tous les participants et parce que franchement en plus c’était fun.

Mais je l’écris aussi parce que cette mise en place a pris du temps, que nous avons passé des étapes les unes après les autres, que nous avons aussi tenté des choses qui n’ont pas marché, et que si cette expérience peut servir un jour à d’autres, ça vaut le coup de l’écrire.

Mais qu’est-ce que c’est qu’un pilotage collégial ? C’est un pilotage commun et solidaire par une équipe au lieu d’une personne. Evidemment il existe des méthodologies de pilotage par une équipe. On les retrouve dans l’holacratie ou dans les équipes agiles par exemple, et le système final mis en place s’en inspire. Mais plus que des techniques à appliquer, le but est de vous raconter les étapes que l’équipe a franchie pour en avoir envie et besoin, comment elle y est arrivée au final, ainsi que les impacts sur ses relations avec le reste de l’entreprise.

Aujourd’hui, épisode 1 : Année 1, alignement et travail en commun

C’est l’histoire d’une direction

Cette histoire c’est avant tout l’histoire d’une rencontre. Entre moi et ma nouvelle direction. Enfin, nouvelle… pas vraiment. Une direction de développement informatique bien installée, avec 150 collaborateurs, 15 équipes agiles, quatre responsables de départements opérationnels et trois responsables de départements transverses, tous là depuis déjà plusieurs années. J’ai hérité de cette direction comme on hérite d’un château de famille, quelque chose d’historique, de solide, sur lequel on peut compter, qui fonctionne, mais aussi avec ses traditions et ses murs autour.

J’ai abordé ce nouveau poste comme une prise de poste habituelle, en commençant par une phase d’observation. Qu’est-ce qu’ils font en vrai ? Comment ils travaillent ? Est-ce que ça fonctionne? Et rapidement, il m’a semblé évident que je n’avais pas besoin d’apprendre leur métier à mes N-1 et que chacune de leur activité tournait.

C’est le premier élément structurant que je retiendrais : le pilotage collégial n’a pu fonctionner deux ans plus tard que parce que chacun de mes N-1 était déjà en très bonne maîtrise de son poste. Sinon ils n’auraient surement pas pu s’intéresser à autre chose qu’à leur propre silo.

Quel était mon objectif en reprenant cette direction ? Est-ce que j’avais déjà en tête de mettre en place un pilotage collégial par mes N-1 ? Honnêtement non, et cette idée n’arrivera qu’en début d’année 2. Mais cette année 1 est suffisamment structurante pour que l’on débute l’histoire à ce moment là. En année 1, mon objectif était juste de redynamiser la direction, de l’orienter dans le sens de l’entreprise, et de l’ouvrir sur les autres directions. Parce qu’un système qui reste entre soi et qui n’évolue plus, au bout d’un moment ça meurt….

Objectif: Dynamiser et décloisonner en apprenant à travailler ensemble

Pour créer du dynamisme, je voulais déjà décloisonner les départements entre eux, pour en faire quelque chose de plus large et vivant.  A part que ce besoin ne sautait pas aux yeux de mes N-1… A chaque fois que j’en parlais, je voyais le scepticisme arriver, comme quoi ce n’était pas nécessaire, voire dangereux.

Voyant que ça ne leur parlait pas, je n’ai pas essayé de les embarquer sur le fond et je suis passée par une autre voie : juste les faire travailler ensemble sur des projets concrets. J’ai pour cela défini (unilatéralement) les chantiers de la direction, là où je pensais que la direction devait s’améliorer en grand: recrutement, lancement de nouveaux projets, formations, gestion des compétences….. Et nous allions travailler ensemble au niveau direction sur ces chantiers, et non plus au niveau département, avec des tableaux de suivi dans mon bureau. Nous n’étions pas du tout en pilotage collégial, plutôt en animation centralisée, et nous allions déjà essayer de travailler ensemble sur ces sujets opérationnels.

Et pour que l’on apprenne à travailler ensemble, j’ai combiné plusieurs casquettes : la directive, l’informative et l’animatrice

La casquette directive, pour définir le cadre

Pour que tout le monde travaille ensemble vers les mêmes ambitions, il me fallait poser le cadre. Et pour cette première année le cadre a été très top down, c’est à dire défini par moi.

En plus des thématiques sur lesquelles nous devions avancer, le cadre portait sur les valeurs. Là-dessus je crois toujours qu’une équipe est influencée par son manager. En l’occurrence là j’ai organisé cette influence consciemment, car c’était un moyen pour moi de pouvoir déléguer sereinement ensuite.

J’ai pour cela quelques règles personnelles auxquelles je tiens, dans le sens « My Team, My Rules ». Pas beaucoup, juste quelques-unes qui sont importantes pour moi. Par exemple que nous devons transparence à nos clients, fournisseurs, autres directions… Et ce n’est pas négociable.

Bien sûr tout au long de cette année 1, nous avons ensuite ajusté ou ajouté d’autres règles et principes de travail entre nous, ce qui fait qu’au final nous avions un cadre commun et plus seulement le top down initial.

Une fois les ambitions choisies et les règles posées, il a fallu expliquer et surtout convaincre de la direction dans laquelle aller.

La casquette informative, pour expliquer

Pour être d’accord avec quelqu’un, ou au moins comprendre son point de vue, je suis persuadée qu’il faut d’abord partager le même niveau d’information. Et dans une entreprise hiérarchique, le directeur a accès à beaucoup d’information sans même s’en apercevoir. Durant cette année 1, j’ai donc beaucoup, beaucoup, beaucoup parlé.

Les réunions d’équipes consistaient surtout à ce que je leur raconte les discussions du comité de directions, et que je leur transmette toutes les infos que j’avais. Pour qu’ils s’approprient le pourquoi des décisions prises au-dessus, qu’ils connaissent ce qu’il se passe ailleurs, qu’ils comprennent les relations entre les différents éléments de l’entreprise. J’ai donc fait beaucoup de monologues…

Ce niveau de connaissance commun a permis qu’ils comprennent pourquoi nous allions dans ce sens, et que nous ayons les mêmes informations pour décider ensemble. Je ne dis pas que cela règle le problème des décisions communes, mais cela y contribue.

La casquette d’animatrice-protectrice, pour travailler ensemble

Je suis aussi devenue le GO du groupe de mes N-1, pour les faire travailler ensemble sur des sujets communs. J’ai donc organisé pas mal de sessions de travail en commun: définition des postes pour le recrutement, sélection commune de candidats, ateliers de priorisation de formation, « people review » sur la revue des compétences, pour finir même par une revue commune des augmentations.

Durant ces discussions, il a fallu là encore s’aligner : sur quelle base priorise-t-on telle ou telle formation, comment nomme-t-on les niveaux de compétences et à quoi ils correspondent ? Sur ces discussions stratégiques j’animais beaucoup, même si je continuais à impulser certaines directions.

Il a fallu aussi permettre à chacun de s’exprimer sur son « silo » sans se sentir juger par les autres, installer une sorte de sécurité psychologique. Là aussi mon rôle a surtout été de donner la parole aux plus réservés et méfiants, et de reformuler objectivement les réactions des plus énergiques. J’avais la chance d’avoir une équipe ou chacun faisait attention, ce qui a largement simplifié cet aspect là.

Et enfin il a fallu apprendre à décider ensemble. Cela m’a appris à partager la décision, même si à l’époque ma voix comptait plus que celle des autres.

A la fin de l’année 1, un groupe qui sait travailler ensemble… avec un manager leader/animateur

A la fin de cette première année, nous avions donc un groupe de managers qui avaient réussi à recruter, à prioriser des formations, à lancer des nouveaux projets, et qui avaient même fini par décider ensemble des augmentations.

Tout cela n’a été possible que parce que nous avions des règles et valeurs communes, un même niveau d’information, et quelqu’un pour organiser le travail en commun.

On aurait presque pu croire à un pilotage collégial. En fait pas vraiment, nous étions plutôt comme une équipe d’aviron, en ligne mais avec moi qui rame devant.

Car tout reposait sur mes épaules de directrice : la direction vers laquelle on allait, les informations à disposition du groupe, l’animation du groupe pour avancer et d’autres choses dont je ne me rendais pas encore compte.

Toutes ces choses, nous nous en sommes rendu compte en passant à l’étape 2, la même chose mais avec un peu moins de directrice. A venir dans l’épisode 2…

Manager dictateur ?

Manager dictateur ?

On me demande parfois si j’étais une manager participative ou plutôt directive (mais bien sur éclairée et bienveillante). En fait ça dépend, c’est complexe… C’est cette diversité managériale que je vous propose d’évoquer avec vous aujourd’hui.

Je pourrais commencer par vous expliquer les différents styles de management: directif, persuasif, participatif et délégatif. Mais comme je préfère la pratique à la théorie, je vous propose de commencer par vous raconter des mises en pratique selon les situations: Quand un collaborateur prend une nouvelle responsabilité, pour une équipe qui tourne, pour la constitution d’une nouvelle équipe et pour une reprise d’équipe existante.

Pour une nouvelle responsabilité, la technique du grand bain.

La technique du grand bain consiste à jeter son collaborateur dans le grand bain de sa nouvelle responsabilité, tout seul, et s’il se noie, tendre la perche. Evidemment c’est une image, j’évitais de faire ça dans une vraie piscine, mais j’aime bien cette image car elle montre qu’il y a une notion de risque à évaluer.

Il fallait que je sente que la personne était quand même capable de le faire, et assez solide mentalement pour supporter les difficultés à venir.

Je regardais aussi le niveau de risque pour l’entreprise et donc pour moi. Il fallait que je sois capable d’assumer les erreurs sans le reprocher à mon N-1, qui était débutant et qui donc en commettrait.

Pour pouvoir tendre la perche au bon moment, je gardais aussi un lien de proximité fort, afin qu’il ou elle n’ait pas d’effort à faire pour appeler à l’aide ou tout simplement discuter avec moi des options, et avoir (quand même) mon avis. Cela me permettait aussi de me rendre compte quand il ne s’en sortait pas, et de lui donner les petits coups de pouce nécessaires.

A noter que les retours que j’en ai eu sont souvent : « C’était trèèèèès dur mais j’ai beaucoup appris ». Je le maniais donc quand même avec précaution.

Pour une équipe qui tourne, le cadrage participatif

Pour une équipe dont j’étais le manager depuis un certain temps, j’utilisais le processus idéal que l’on m’avait enseigné dans mes formations de management ou de coaching: Mission intemporelle de l’équipe, valeurs, vision pour l’année à venir, le tout dans des sessions de travail collaboratives.

Dans ces moments, nous travaillions ensemble, et je me considèrais dans cet exercice comme un membre de l’équipe. L’historique commun et l’habitude de travailler ensemble étaient indispensables pour permettre des discussions constructives amenant à un alignement.

Un autre ingrédient nécessaire était une connaissance partagée de l’environnement. En tant que manager, on a souvent beaucoup plus d’informations que nos N-1, sans même nous en rendre compte. Je profitais alors de la moindre occasion pour partager cette l’information. Çela faisait un peu monologue parfois, mais à mon avis çela valait le coup, car ce référentiel commun de connaissances nous permettait ensuite de converger plus facilement.

Pour la constitution d’une nouvelle équipe, le skipper

Pour une nouvelle équipe, c’était à moi de donner la direction, parce que moi seule savait pourquoi la nouvelle équipe existait et ou elle devait aller. Sans compter que je devais aussi asseoir mon leadership.

Les questions que se posaient les collaborateurs à ce moment la pouvaient être : « Pourquoi je suis la ? Pourquoi je suis dans la même équipe qu’eux ? Qu’est ce que m’apporte cette nouvelle équipe ? ». Sur ces questions, je ne leur demandais pas de co-construire les réponses. C’était moi, en tant que manager, qui en avait une grande partie: Pourquoi l’équipe a-t-elle été créée? Qu’est ce que l’équipe va faire de plus ensemble que chaque membre tout seul ? Qu’est ce que cela peut apporter à chaque membre individuellement ? »

Mes premiers mois consistaient donc à expliquer le sens et là ou on voulait aller, à voir les synergies entre les membres et à les mettre en œuvre en vrai. Progressivement, en fonction de l’adhésion, et aussi en fonction des retours de mes N-1, j’adaptais et je lâchais du lest sur cette posture.

Pour une reprise d’équipe existante, l’intrus

Dans le cas d’une reprise d’équipe, c’était moi l’intrus. J’arrivais dans un système existant, qui fonctionnait jusque la sans moi.

Donc d’abord, j’écoutais, et je regardais. Qu’est ce qu’ils font ? Comment ça fonctionne ? Pour ça je faisais des « vis ma vie » avec des membres de l’équipe pour mieux comprendre. Je créais aussi de la proximité avec mes N-1. J’étais pour ma part adepte des points hebdo en 121, que je laissais libre avec une question ouverte du type « quoi de neuf ? ».

Ensuite, après quelques temps d’observation, je commençais à réagir à ce que je voyais, et à répéter les choses importantes pour moi : par exemple sur les valeurs (ex : « je ne veux pas de mail d’insultes dans mon équipe » ), sur les projets majeurs (« cette année, on doit beaucoup recruter »). Et ça en boucle. Cela déclenchait des réactions, ce qui permettait le plus souvent de trouver un équilibre. Et si ce n’était pas le cas et qu’il y avait incompatibilité avec certains, c’était certes un problème, mais au moins on le savait, donc on pouvait le traiter. Mais ça c’est une autre histoire.

Un peu de théorie quand même

Je vous ai parlé au début de cet article des différents types de management. Une des grilles de référence présente quatre styles: directif, persuasif, participatif et délégatif, qui ont été largement documentés. Si vous voulez en savoir plus, vous pouvez lire aussi tout ce qui concerne le management situationnel.

Si on revient aux situation, celles décrites ci dessus utilisent à chaque fois un ou plusieurs styles. Et pour ceux qui aiment quand même mettre les choses dans des carrés et des ronds, je vous propose ce petit mapping.

Et moi dans tout ça ?

La vraie difficulté pour moi était d’être à l’aise avec tous ces styles de management, que çà sonne juste, que cela me corresponde, même dans ceux qui m’étaient moins naturels.

Pour le choix du style à adopter, je complétais mon intuition initiale avec des éléments factuels. Je regardais la situation de mon collaborateur ou de mon équipe en me demandant de quoi ils avaient besoin et ou ils en étaient de leur progression. Je pesais aussi la situation selon le prisme de l’entreprise avec la criticité du sujet. Ces deux visions me permettaient d’être plus sur de mon choix et donc de mieux l’assumer ensuite.

Pour la mise en pratique, je savais que les styles qui m’étaient moins naturels me demanderaient plus d’énergie et de concentration pour rester dans la bonne posture. Le savoir me permettait de mieux m’y préparer.

Au final je gardais en tête que le style de management n’était qu’un choix à un moment donné. Donc dans tous les cas, j’observais, je récoltais du feedback, et en fonction j’avisais…